jeudi 14 avril 2016

Les envies répressives de l'instinct policier

On n'entend guère souvent la parole policière. On l’a entendu se porter à la défense de son régime de retraite. On l’a aussi deviné sur les autocollants qui ont pigmenté de rouge les voitures de patrouille. Mais la parole policière, l’authentique, est d’ordinaire silencieuse, soumise, esclave d’une autorité qui lui dicte ses actes et ses pensées. Certes le policier commande dans la rue, mais il est alors inféodé au pouvoir. Son commandement n’est pas l’œuvre d’une volonté ou d’une singularité, il est l’interpellation du pouvoir : du pouvoir qui parle à travers lui.

C’est pourquoi le policier est à bien des égards une bête bien dressée. Dès les premiers jours de son admission à l’école de police, on sculpte son âme, on hiérarchise ses pulsions, on incline ses penchants vers l’horizon lumineux de l’ordre. On le discipline à réagir aux situations avec une régularité sans failles. On le dresse à poser les mêmes actes jusqu’en oublier leur sens et leur portée.

Un bon policier, un policier qui reçoit les honneurs et les fleurs de ses supérieurs, patrouille avec une inébranlable cohérence. Un bon policier est une somme d’instincts et de réflexes. À chaque situation, il est une réponse, à chaque crime une répression, à chaque danger une riposte. Le policier est un technicien. Il met en œuvre une loi qui le précède. Une loi indiscutable. Une loi qui se suffit à elle-même. La loi, c’est la loi, dira toujours le policier à titre de sommation.

Et donc, il y a de quoi écouter une parole policière quand elle s’autorise à la critique du pouvoir. C’est un phénomène assez rare pour tendre l’oreille. Et c’est justement ce qui est survenu cette semaine. Le pouvoir a fait exception à la loi et les policiers ont parlé. Les fenêtres d’un commissariat de police ont volé en éclats et les policiers ont fait savoir qu’ils eussent voulu tirer sur la foule émeutière si cela ne leur avait pas été interdit. Pour une rare fois, la parole policière s’est dissociée du pouvoir. Mais elle s’en est écartée pour mieux réclamer le sang. Elle eût voulu réagir en conformité avec la discipline de ses instincts. Répondre, réprimer, riposter. Quitte à tirer à coups de balles (de plastique) dans la foule. Quitte à blesser une nouvelle fois. Quitte à prendre une autre vie.

Il fut une époque où la police se dissociait du pouvoir en se refusant à tirer sur les foules. Aujourd’hui elle s’en dissocie en revendiquant une soif de répression. Autres temps, autres mœurs, la parole policière n’est peut-être plus une volonté. Elle n’est peut-être qu’une intelligence primitive : une réaction, une pulsion, un désir. Une voix qui recouvre l’instinct de répression, l’envie de tirer sur la foule émeutière. Le policier appuie sur la gâchette quand l’instinct lui en ordonne, et se trouve offusqué quand une force quelconque l’en entrave. C’est l’efficace d’un dressage à la terrible perfection.

La vieille Garde Nationale française, quand elle s’est jointe à la Commune de Paris, ignorait la perfection d’un tel dressage, et cette ignorance fut sans doute la possibilité de sa volonté séditieuse. À l’inverse, les policiers du SPVM, quand ils réclament une plus grande répression, éprouvent dans leurs chairs la discipline de leurs instincts, et cette expérience initiale, presque initiatique, de l’école de police est sans doute ce qui les poussera inlassablement à la répression de tout ce que l’on nomme révolte.


mercredi 6 avril 2016

Détruire un corps noir

« Quel que soit le nom qu’on donne à ce système, il n’a eu qu’un résultat : notre infirmité face aux forces criminelles à l’œuvre dans ce monde. Que l’agent soit blanc ou noir n’a aucune importance – ce qui en a, en revanche, c’est notre condition ; c’est le système qui fait de ton corps [noir] un objet destructible. »
- Ta-Nehisi Coates

C’est quasiment un silence radio, ou une indifférence, ou une insensibilité. Presque rien dans les journaux, sinon de fugaces articles ici et là qui nous recrachent une information écrite d’une plume robotique et hachurée. Homme noir. Vendeur de drogue. Mort hier. D’une balle de plastique en pleine tête. À Montréal Nord. Parce qu’il voulut s’enfuir de la police.

Une écriture glaciale, mécanique, insupportable.

C’eût été un jeune étudiant qu’une bonne partie du Québec aurait déjà explosé d’indignation. Mais c’est seulement un corps noir, vendeur de drogue au demeurant, qui vagabondait dans l’un des pires quartiers de la ville. Et donc, on se la boucle jusqu’à enterrer notre indignation de peur de prendre le parti de la drogue et de ses ravages.

Un instant, et sans doute par une intention de gestion de crise morbide, les policiers ont laissé croire à une histoire de crack. Cette vie, celle qui s’est éteinte en prenant ses jambes à son cou, n’avait de valeur, nous disait-on, qu’en fonction de sa culpabilité, celle de vendre du crack dans le ghetto. Cette vie, comme tant d’autres avant elle, à Baltimore, à Chicago ou à Detroit, n’était bonne qu’à la réclusion ou à la mort. Une vie à immobiliser, à effacer de la circulation, death or alive. Une vie dans un corps noire, une vie de trop.

Mais voilà que La Presse, depuis hier, n’évoque plus d’histoire de crack. Ce ne serait plus qu’une histoire de marijuana. Une histoire que tous les white folks connaissent. Dans chaque école, dans chaque quartier, dans chaque village, on la connaît cette histoire. On la connaît par cœur. Un revendeur trafique de la drogue douce et empoche au détour quelques profits souvent misérables. Et pourtant, dans chaque école, dans chaque quartier, dans chaque village, cette histoire ne connaît pas le même dénouement. À la fin il n’y a pas mort d’homme. Il n’y a même pas incarcération. Il y a seulement quelques petites tapes sur les doigts.

Et c’est là, dans ce double régime de répression policière, que les structures les plus invisibles du racisme se révèlent. On n’a pas assassiné Jean-Pierre Bony car il était un revendeur quelconque fuyant son arrestation. Non, on l’a assassiné car il était un corps noir dans le ghetto. On l’a assassiné, car le corps noir est toujours un corps en danger, un corps doublement surveillé, un corps que l’on abat à la moindre désobéissance : un corps destructible.

Assassiner un corps noir qui s’enfuit, ce n’est pas la moindre des traditions. Ce n’est pas sans rappeler les vieux réflexes des policiers les plus racistes aux Etats-Unis, ou les vieux enseignements élémentaires de l’esclavagisme. Détruire un corps noir avant qu’il ne s’échappe, ce n’est rien. Presque personne n’en parle ou ne s’en indigne. C’est quasiment un silence radio, ou une indifférence, ou une insensibilité. À vrai dire, c’est d'une grande banalité jusqu’au jour où le tonnerre de la révolte hurle aux oreilles sourdes le silence ordinaire du racisme. Ferguson et Baltimore n’ont jamais été rien d’autres que l'éloquente preuve de cette affirmation. 

mardi 27 octobre 2015

Les bas-fonds de la femme autochtone

Tout, absolument tout jusqu’à maintenant, prouve, par l’absurde, l’éloquence d’un rapport de domination aussi ferme qu’intangible. Le refus initial et obstiné d’enquêter; l’indignation surfaite qui entr’aperçoit enfin le drame plusieurs fois centenaires de la femme autochtone ; les larmes d’un pouvoir qui, dit-on, était en connaissance de cause depuis cinq mois ; et maintenant les chiens qui jouent aux victimes esseulés, perdues, innocentes - abandonnés, disent-ils, par leur maître. Oui, tout, absolument tout, est à vomir.

On eût voulu faire plus grossier pour dépeindre les travers de l’époque qu’on eût fait dans le burlesque de mauvais goût.

Rien n’est plus laid, rien n’est plus répugnant que la mauvaise comédie qui feint, pour elle-même et pour les autres, la touchante sensibilité. L’hypocrisie s’allie alors à la tragédie pour camoufler l’immobilisme. On pleure sur scène à chaudes larmes, on offre le spectacle de la sympathie pour endormir les indigné-es qui jetteront bientôt leur dévolu sur une nouvelle cause; puis, quand les caméras s’éteignent, les mêmes tirent les ficelles, les mêmes reproduisent le vieux monde qui viole et tue.

La ministre Thériault a poussé jusqu’au grotesque le jeu d’une telle mise en scène. Sa ridicule performance alors que les caméras tournaient n’a eu d’égal que les moyens qu’elle a mis en œuvre pour combattre les exactions de ses chiens enragés qui se paient des pipes avec des grammes de cocaïne. Aussi risibles, aussi détestables dans ce qu’ils dévoilent et illustrent par la caricature : le monde colonial dans sa brutalité la plus banalisée.

Ainsi donc, armés des larmes de la ministre, les chiens de ville enquêteront sur les chiens de campagne. C’est dire combien le désir d’immobilisme est impérieux ; c’est dire combien l’impunité des cochons coloniaux est assurée. Qu’importent les espoirs des indigné-es, ou les atermoiements des pleureuses du dimanche, les chiens de campagne s’en sortiront avec une retraite à 45 ans ; et tout cela, on nous le crachera en pleine gueule à TVA nouvelles comme s'il s'agissait d'une juste punition.

Car telle est la dureté de l’univers colonial.

Dans l’organigramme de ses rapports de force, la femme autochtone, à l’image de la femme noire des ghettos américains, végète dans les bas-fonds les plus miséreux. On ne cesse de la violer depuis des siècles. On ne cesse de la violer contre un flacon d’alcool ou quelques billets. On ne cesse de la violer en toute impunité, camouflé dans les broussailles de la forêt ou sur la banquette arrière de sa vieille Ford. C’est même le secret le mieux gardé de l’univers colonial : violer la femme autochtone, c’est facile – même les cochons le font. 

La féroce vérité, à la fois honteuse et sourde, c’est que les chiens de campagne ont sans doute imité leur père ou leur grand-père ; et que les viols de Val d’Or, quand on les réinsère dans la grande trame de l’histoire coloniale, ne forment que le bruyant écho de tout ce que la femme autochtone a subi depuis l’arrivée des colons. Oui, la cruelle vérité, c’est qu’on ne cessera de la violer tant et aussi longtemps qu’on n’entrera pas en rupture avec cette grande trame. 

Reste qu'on n’abandonne pas des siècles de violences comme on verse quelques larmes pour la galerie. Si bien que le jour où l’univers colonial tremblera, là même où les clameurs de l’indignation se font depuis quelques jours les plus tonitruantes, les appels à la répression des sauvages pourraient être parmi les plus intransigeants. Et c’est bien là, dans cette réversibilité aussi prévisible qu’inattendue, que se joue la plus dangereuse hypocrisie : les dits citoyens qui s’indignent aujourd'hui dans le silence assourdissant des banlieues en carton pourraient bien détester, le jour venu, la rumeur de la révolte qui gronde au loin.


mercredi 3 juin 2015

Parizeau, les québécois et le racisme

Sans doute fallait-il s’attendre à une telle unanimité, à une telle communion par-delà les conflits partisans et les lignes de partage qui traversent le pays et le fendillent en son cœur. Comme si la grande histoire devenait lisse et immaculée pour l'occasion. Comme si le pouvoir d’État n’avait jamais usé Parizeau. Oui, tout cela était sans doute attendu. L’obligation d’enrouler le mort dans le sacré, l’appel à la suspension des jugements, et même le refus d’entendre autre chose que l’encensement de l’Homme, la célébration de l’homme d’État, de celui qui incarne et consacre le pouvoir. De Couillard à Nadeau-Dubois, des québecsolidariens les plus gauchistes aux péquistes les plus conservateurs, tous et toutes en faveur de l’unité nationale et pour le recueillement le plus harmonieux. Que des bons mots ! Que des éloges ! Que des fleurs lancées sur le tombeau !

Oui, pour celles et ceux qui ont voulu se dérober au poids de l’encensement généralisé, à sa charge massive et brutale, ce fut hier une dure journée. Ou bien fermer sa gueule, ou bien subir le poids de l’union sacrée. Et l'une de celles qui ont ouvert leurs gueules peut aujourd’hui témoigner du coût de la profanation. Partout les invectives fusent. Partout les partisans de la communion s’acharnent sur la proie dans un minable festival d’insultes : « crisse de folle », « charogne », « demi-civilisée », « sans cervelle ». Partout on s’attaque à son intelligence, à la soi-disante radicalité de son féminisme. Partout on la traine dans la boue.
 
À l’accusation de racisme a répondu une misogynie ordinaire, quotidienne, banalisée, une misogynie qui choque peu les fidèles de l’union sacrée. Pour sauvegarder le salut de la nation, tous les coups sont permis.

Et pourtant l’histoire des rapports entre Parizeau et les autochtones n’a jamais été simple. L’histoire des québécois en général envers les premières nations ne l’a jamais été non plus. Une histoire de blancs et de leurs rapports à des peuples colonisés. Une histoire commune, comme on en trouve ailleurs. Au States, au Canada anglais, en Australie, en Amérique latine. Comme on en trouvait autrefois (et qu’on en trouve encore) en Afrique et en Asie. Une histoire de colonisation. Une malheureuse histoire qui s’est déclinée en plusieurs versions, mais qui s’est toujours révélée à travers les mêmes symptômes : une ghettoïsation, une domination outrageuse, des conditions de vie inhumaines, une dignité bafouée, humiliée.

Le racisme n’a jamais été rien d’autre que rapport de domination. Domination des blanches et des blancs sur les noires et les noirs, des anglophones sur les francophones, des français et des françaises sur les arabes, des israéliens et des israéliennes sur les palestiniens et les palestiniennes, et bien sûr des francophones blancs et blanches sur les autochtones basané.es. Le racisme est la logique discursive qui avalise et endosse l’état d’avilissement des dominé.es, et qui va jusqu’à renverser les responsabilités historiques. Et par là même, le racisme appelle souvent à la répression. Des ghettos noirs quand ils se révoltent. Des réserves autochtones quand elles se soulèvent. Des colonies quand elles brisent leurs chaines.
 
Sans doute l’histoire du Québec loge-t-elle à l’enseigne de l’ambigüité. Parizeau a participé à la libération d’un peuple en partie dominé. Mais il s’agissait d’un peuple colonisé qui avait lui-même colonisé un autre peuple. D’un peuple de colonisateurs colonisé.es. Parizeau a certes combattu le racisme que son propre peuple a subi. Mais dans sa lutte pour affranchir les siens, il a parfois oublié une part de lui-même : il a parfois oublié qu’il était lui-même un colonisateur. Il a parfois oublié de tendre l’oreille vers l’autre peuple, vers le peuple basané qui était là avant les siens. Il a parfois oublié les autochtones, leurs réserves faméliques, leur pauvreté chronique, leurs maisons aux carcasses délabrées, leur perdition dans l’alcoolisme, bref, tout ce qui révèle leur situation au sein de l'ordre colonial. Il a parfois oublié, comme la lourde majorité du peuple québécois, de sonder ses responsabilités historiques, de faire preuve d’humilité. Et de tout mettre en oeuvre pour favoriser le lent démantèlement d’une domination à laquelle il participait au moins partiellement. 

Oubliez un instant la déclaration de 95, sa maladresse et son équivoque. Relisez plutôt les déclarations de Parizeau lors de la crise d’Oka, son appel à une intervention musclée contre les mohawks, sa soif de répression. Parizeau n’a pas été qu’un raciste. Mais raciste, il l’a déjà été. Comme la plupart des québécois, d’ailleurs. Et refuser aussi violemment d’entendre cette vérité participe de la domination en cours.





samedi 2 mai 2015

Les thugs de Baltimore

Écrit le 27 avril sur facebook

Des foyers d’émeutes ici et là, des policiers aguerris tombant au combat, des jeunes les affrontant comme s’il s’agissait d’un jeu enivrant, et même des badauds pillant des commerces à grande surface. Sans doute les pires émeutes aux States depuis les émeutes de LA en 1992. Des émeutes violentes, brutales, incendiaires. La puissance d’État, et sa souveraineté sur une ville entière, s’effondrant tel un château de carte au centre de l’empire.
C’est toute la misère des ghettos qui s'exprime dans ces émeutes. C’est toute la misère des ghettos aux maisons barricadées, des ghettos où les rafales de balles percent le silence de la nuit, où les junkies trainent leurs savates à chaque coin de rue, où la populace oubliée s’entassent dans les taudis. Une prison à ciel ouvert où la police règne avec brutalité. Une misère quotidienne, structurelle, infernale, que les noir-es américain-es partagent, de génération en génération, comme un mal qui trouve son origine la plus lointaine dans l’esclavage.
Et la mairesse de Baltimore, noire par ailleurs, de déclarer : nous allons tout mettre en œuvre pour freiner ces thugs qui saccagent la communauté que nous avons mis des années à bâtir. Et les médias de répéter à l’unisson que ces jeunes forment seulement un amas de criminels. Des thugs, des voyous, des bêtes immondes, rien d’autres. Il faut tout mettre en œuvre pour les freiner : autrement dit jusqu’à leur tirer dessus avec la Garde nationale. Et cela pour sauvegarder la communauté : la communauté en ruine que ces mauvais architectes auraient bâti main dans la main avec les élites à lourde majorité blanche.
Ne vous inquiétez pas : la Garde nationale rétablira l’ordre. Les balles siffleront dans la nuit s'il le faut. Les jeunes thugs, qu’a enfanté la communauté en ruine, tomberont sous les tirs. Et cette répression fondera sa légitimée dans une rhétorique où l’ordre intransigeant écrasera le mal. Mais en abattant ainsi ses propres enfants, la communauté en ruine s'assurera de donner vie à de nouvelles bêtes immondes qui, un jour ou l’autre, reviendront la hanter. Et tel un cercle vicieux, la même histoire recommencera.

mardi 7 avril 2015

Critique du Manifeste pour un élan global

Écrit sur facebook le 7 avril 2015

Les voilà les merveilleux résistant-es qui abattront le pouvoir et ses diaboliques projets pétroliers. Et les voilà tels qu'ils et elles sont : pour la plupart absent-es des luttes qui ont cours sur le terrain concret de la grève et de la rue, mais trop content-es de nous pondre une belle lettre dont toutes les réflexions sont si attendues qu'il m'eût été possible de les anticiper à la phrase près.

Tout y est : toute la sauce tient en un seul bloc aussi prévisible que les discours de leurs prétendu-es ennemi-es. Ils et elles sont objecteurs et objectrices de conscience. Ils et elles sont citoyens et citoyennes qui font poids de leur renommée en nommant leur célébrité en fin de lettre. Ils et elles sifflent le vieux refrain du pacifisme idéologique. Ils et elles radotent la vieille chanson usée du développement durable.

Et toujours ce même nationalisme rampant qui se fonde sur des mythologies modernes d'un autre temps : « Le Québec a fondé sa modernité sur des valeurs fondamentales, dont l’énergie propre et le partage des richesses. C’est ce que nous sommes. C’est ce que nous voulons être. » Ou encore : « Nos révolutions sont tranquilles, mais ce sont de vraies révolutions. Elles peuvent inspirer le monde entier ».

Mais de quel partage il est question ici ? Du partage fantasmé de la social-démocratie qui n'a été possible qu'en vertu des trente glorieuses et des ravages de la guerre mondiale qui les a précédé ? Bref, de ce partage d'hypocrites qui a été le propre de presque tout l'occident capitaliste, et qui n'a jamais su endiguer le flot de révoltes des années 60 et 70 (en Italie, en France, en l'Allemagne, ou ailleurs, là où la même social-démocratie avait cours) ?

Et de quelle révolution il est vraiment question ? De cette révolution qui a élevé le québécois au titre d'occidental privilégié ? De cette révolution qui nous a procuré les lettres de noblesse de la domination blanche occidentale ? De cette révolution qui a pavé d'autoroutes le Québec et saccagé les forêts qui trônent au sommet du pays ?

La douloureuse vérité - celle qui ne s'enveloppe pas de l’orgueil nationaliste - c'est que nous ne pouvons nous vanter d'être une inspiration. Notre révolution n'a été tranquille qu'en vertu d’un leurre : tranquille (ou dit tranquille) parce qu'elle n'a jamais été une révolution. Parce qu'elle n'a jamais été que l'accueil du Québec dans la modernité capitaliste. Parce qu'elle n'a jamais été que la consécration du Québec comme membre à part entière de l'occident triomphant.

Toute réelle révolution alimentera des conflits turbulents et arrachera le Québec à sa quiétude de surface. À tel point que nous ne devons point enseigner quoi ce soit au monde entier, mais plutôt apprendre des luttes qui ont déjà eu cours ailleurs. Les vraies luttes québécoises dans les années 60 ou 70 n’ont jamais été tranquilles. Les vraies luttes d’aujourd’hui ne le sont pas non plus. Et je conseillerais une seule chose à la brochette de starlettes qui ont signé ce manifeste dans le confort douillet de leurs privilèges : commencez donc par prendre parti, de la manière la plus concrète qui soit, pour les étudiant-es qui revendiquent déjà la fin des projets pétroliers et qui se font défoncer la gueule soir après soir par les soldats du pouvoir. Le combat commence là et nulle part ailleurs.



Le manifeste pour un élan global : http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/436476/manifeste-pour-un-elan-global


De la nécessité de l’unité pour contrer les expulsions politiques

Écrit dimanche le 5 avril

Le feu exécutif de l’ASSÉ est maintenant hors de combat. Nous qui avons été choqué-es par ses manœuvres, nous qui avons dénoncé son appel au repli stratégique, nous avons obtenu gain de cause. Les membres du comité ont même offert leur démission à l’ouverture du Congrès, et sans doute ce seul geste aurait-il suffi à réparer la faute. C’était déjà la reconnaissance d’un désaveu. Cela ouvrait déjà la porte au renouvellement souhaité. Mais une colère, qui était à plusieurs égards justifiée, a pavé les sentiers de la riposte, et la destitution a été imposée.

Pourquoi en a-t-il été ainsi ? Cela a-t-il été motivé par le ressentiment ? Ou par un quelconque désir d’humiliation ? Et la trahison du huis clos, était-ce pour camoufler la destitution ? Ou encore, pour protéger l’image dorée du comité exécutif destitué ?

Je vais vous le dire sans ambages : toutes ces questions, comme leurs réponses, m’apparaissent futiles, et pour ainsi dire vides de sens à l’heure où nous nous parlons. Peut-être les manières de la destitution ont-elle été brutales. Sans doute répondaient-elles à la gravité de la faute. Beaucoup de choses ont même été dites durant les derniers 24 heures, des belles et des moins belles. Mais, maintenant, passons à autre chose. Allons vers l’avant. Marchons en direction du Printemps.

À la vérité, j’ai eu du mal à comprendre l’acharnement des uns et des autres. L’acharnement des uns à se défendre des accusations, et l’acharnement des autres à taper sur les défaits. On s’est engueulé-es jusqu’à se traiter de tous les noms. On s’est entredéchiré-es pour sauver l’orgueil des égos meurtris. Nos disputes  intestines se sont même retrouvé-es en pleine page des journaux ennemis. Mais le passé immédiat ne s’effacera pas à coup de règlements comptes et seule l’unité, au moins partielle ou temporaire, nous permettra d’affronter la lutte qui vient : la lutte contre les expulsions politiques à l’UQAM.

Vous pensez qu’il s’agit d’une lutte domestique ? D’une lutte propre à l’UQAM ? Vous avez tort. Il s’agit d’une lutte qui concerne l’essence même de la grève étudiante. Il s’agit d’une lutte qui met son existence en jeu, et je dirais même sa survie en danger. Si le rectorat de l’UQAM accomplit sa volonté répressive – celle encouragée par le ministre Blais – il y aura précédant : précédant qui pourrait avoir de lourdes conséquences sur l’avenir de la grève, sur le sort de tous les étudiant-es qui chercheront à combattre l’ère réactionnaire. Assurément, si elles réussissent à l’UQAM, les expulsions se reproduiront ailleurs. Au printemps ou à l’automne. Et de toute évidence, nous reculerons en lieu et place où nous devons avancer.

La grève de 2012 s’est érigée sur un refus de mourir, de mourir sous les coups de la répression. La grève de 2015, aussi brève soit-elle, ne peut davantage plier, non seulement en solidarité avec les expulsé-es, mais aussi par amour de la grève, de ce qu’elle ouvre comme possibilités et œuvre à faire naître.

Des bureaucrates mafieux veulent briser les vies de nos ami-es expulsé-es. Ils et elles veulent assassiner la grève étudiante de la même façon qu’ils et elles ont jadis assassiné la grève des travailleurs à coup de lois spéciales : en  brisant des résistances, en saccageant les espoirs des récalcitrant-es, en effaçant des volontés hétérogènes. Ils et elles voudront miser sur nos divisions. Mais faisons-les mentir. Rassemblons-nous autour de la question des expuslé-es et matons la direction de l’UQAM et sa volonté répressive. C’est de l’existence même la grève dont il est question, de la grève en cours comme de la grève à l’automne : de la grève rampante qui promet de réapparaître ici et là dans les prochaines années.